Philip Jaffé


Les Droits de l’enfant étaient à la fête en 2019. Tout le monde en parlait. 30 ans de droits de l’enfant depuis que, en 1989, l’Assemblée générale des Nations Unies promulguait la Convention relative aux droits de l’enfant… cela méritait bien une grande célébration! Et elle fut belle à travers le monde, myriade d’événements locaux et nationaux, surtout aux Nations-Unies qui ont mobilisé les acteurs diplomatiques, les professionnels travaillant pour et avec les enfants, et aussi beaucoup d’enfants. Au Palais des Nations à Genève en particulier, autorités internationales et suisses - municipales, cantonales et fédérales - se sont fortement impliquées aux côtés des grandes organisations internationales et des ONGs. De beaux discours ont bien résumé les avancées importantes en Suisse et à travers le monde en faveur des enfants. Et en vérité, les défis n’ont été ni ignorés ni tus. D’ailleurs comment pourraient-ils l’avoir été au regard des situations tragiques que vivent des centaines de millions d’enfants. Partout, suis-je tenté de dire.

Ce foisonnement festif qui agitait les cercles des droits de l’enfant, c’était à peine hier. Mais tout cela paraît de l’histoire ancienne, maintenant que le globe est englué dans la crise sanitaire du Coronavirus. Alors, dans l’espace limité de cette préface, l’occasion de partager à chaud deux pensées, contradictoires seulement en apparence.

D’abord, contrairement aux pandémies d’antan, quelle chance que les enfants soient largement épargnés sur le plan somatique par le Coronavirus! Ne me prêtez pas un manque d’empathie pour les personnes âgées qui constituent la majorité des victimes, mais pensez à la manière dont nos sociétés seraient en deuil et réagiraient si les enfants mourraient en grand nombre et que chaque famille vivait dans la terreur de perdre ses membres les plus jeunes. La détresse, j’en suis certain, serait exponentiellement augmentée.

Ensuite, et si la maladie les ignore, il est indiscutable que les enfants figurent quand même malheureusement parmi les groupes principaux de victimes. Dans nos latitudes du Nord, il ressort que les enfants confinés sont à risque décuplé de maltraitances en tous genres alors même que les moyens des services sociaux pour les identifier et intervenir sont fortement réduits. Et au Sud les ravages du virus doivent encore se déployer et, sans être futurologue, je prédis que les enfants souffriront tout particulièrement. Les fragilités sanitaires et économiques de beaucoup de pays, la faiblesse des gouvernements, un tarissement probable de l’aide internationale conduiront à une explosion de la pauvreté, à des flambées de violence et à la nécessité pour la population de passer en mode survie au sens propre. Plus d’enfants qui ont faim. Plus d’enfants qui quittent l’école pour de bon. Plus d’enfants maltraités. Plus d’enfants abandonnés et en situation de rue.

Il nous faudra, à toutes celles et ceux qui œuvrons dans l’humanitaire, beaucoup retrousser nos manches durant les mois et les années qui viennent. En ma qualité de Membre du Comité des droits de l’enfant à l’ONU, je formule l’espoir que nous saurons nous mobiliser avec des organisations telles que Casa Alianza pour que la fête des 30 ans des droits de l’enfant en 2019 n’ait pas eu lieu en vain.

Philip D. Jaffé
Membre du Comité des droits de l’enfant à l’ONU
Professeur à l'Université de Genève