François Longchamp


Résilience

En 2016, près de 110'000 personnes ont fui la violence des pays du Triangle nord de l'Amérique centrale, soit le Honduras, le Guatemala et le Salvador. C'est cinq fois plus qu'en 2011. Une victime sur quatre d'exactions et de violences est mineure. Des familles entières sont plongées dans la peur et soumises aux clans.

En Europe on peine à saisir, souvent, la réalité de telles situations. D'une part, elles sont lointaines. D'autre part, les récits semblent irréels tant les horreurs décrites paraissent sans limites. Berceau du droit et de l'assistance humanitaire, Genève se sent des responsabilités à la hauteur du respect qu'elle voue au droit et aux personnes. Le Comité international de la Croix-Rouge est né à Genève et y siège toujours. Sauf à enfouir la tête sous le sable, cela confère une sorte de responsabilité collective à la cité et à ses autorités. Le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres est issu, comme l'a été Kofi Annan, du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui y est établi aussi et dont on rêverait d'apprendre un jour qu'il n'a plus rien à faire. On en est loin. Les chiffres énoncés plus hauts proviennent du HCR. La statistique n'est pas une science froide et celle-ci éclaire des crimes.

L'ampleur des dommages constatés exige une réponse adaptée, de la méthode et de la patience. C'est alors qu'intervient Casa Alianza. La réhabilitation d'un enfant perdu commence dès le premier instant de sa prime rencontre avec un éducateur de rues. Elle s'achèvera lorsque sa réintégration au sein de sa famille, ou de son groupe social, sera pleinement et réellement acquise. Drogue, exploitation sexuelle, violence, racket, intimidation, travail forcé ont fracassé les victimes de "pandillas", "maras" et autres "coyotes" sans loi ni morale. Il ne suffit pas de les prendre en charge. Il faut aussi les reconstruire. La déstabilisation psychique aggravant la fragilité physique, le processus peut être long. Il induit une reprise progressive de confiance en soi et en l'humanité qui ne va pas de soi et s'apparente à la résilience. Boris Cyrulnik a dépeint avec précision, notamment dans Le Murmure des fantômes, la manière dont le fracas du passé peut résonner chez l'adulte. On ne tisse pas facilement de nouveaux liens affectifs et sociaux. De ce fait, le terrain d'action est double: il faut investir la rue et l'être, autrement dit, agir sur le cadre et la personne.

A l'effort de terrain se greffe en outre la nécessité de donner l'alerte, notamment auprès des institutions internationales. A Genève, Casa Alianza peut actionner des réseaux. Elle agit auprès des agences concernées, elle lève des fonds, elle sensibilise et elle forme des volontaires. Elle agit multilatéralement. Antonio Guterres professe que "un monde chaotique a besoin d'institutions multilatérales fortes". Il parle de l'ONU, bien sûr. Mais cela vaut aussi pour les ONG de terrain.

La République et canton de Genève donne acte de la qualité de ce travail. Elle soutient Casa Alianza depuis 2004 par le biais de deux fonds, alloués à la solidarité internationale et à la lutte contre la drogue, pour des actions conduites au Honduras, au Nicaragua et, depuis 2015, au Mexique, où de telles préoccupations sont criantes aussi. Sortir un enfant du cauchemar, le préserver de la barbarie, raccommoder les familles et le tissu social, c'est défendre la dignité humaine.

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François Longchamp
Président du Conseil d'Etat 
de la République et canton de Genève